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1er tableau : DEPRESSION
Le premier tableau de la série est arrivé par hasard. Il est le point de départ de l’aventure.  

2021, je n’arrive plus à gérer mes angoisses, elles envahissent tout mon espace : familial, professionnel, intime. Je veux peindre un grand format pour habiller le mur de mon salon. Je le peins en noir. Un grand rectangle de 80 cm par 100cm. C’est le plus grand format que j’ai trouvé près de chez moi. Je suis en arrêt maladie pour des troubles anxieux généralisés. J’essaie les anti-dépresseurs. Dans ce fond noir, je veux un mandala, ayant travaillé sur le mandala pendant plusieurs années en pédopsychiatrie, dans mon exercice professionnel. Je colle des morceaux de mandala, cela ne me satisfait pas. Je laisse venir, comme dirait Joëlle, mon amie de psychanalyse, de peinture et de métier, assistante sociale comme moi : “Je laisse sécher.” Plusieurs personnes viennent à la maison et voient le travail inachevé. J’ai des retours peu engageants : “Je ne vois pas comment tu peux en faire quelque-chose.”  

Je le laisse dans mon salon inachevé pendant des mois. Je fais des tentatives, je repeins en noir, je refais des tentatives. J’utilise la bombe de peinture jaune pour donner la forme. J’expérimente. Il y a dans ce travail une recherche intime et personnelle. Je garde du mandala la forme ronde. Je regarde des vidéos sur internet sur des techniques de peinture acrylique, notamment la peinture au sèche-cheveux, j’ai envie d’essayer mais je n’ose pas. 

 

En réalité, je suis assise dans mon canapé toute la journée, épuisée et incapable du moindre mouvement. Je suis dans un état de vacuité. 

 

Vacuité 

Etat de ce qui est vide 

Vide intellectuel, absence de valeur 

Engourdissement 

Je lutte contre le vide, je ne veux pas l’affronter. 

Il me rattrape, il me saisit, il m’entraîne dans les ténèbres. 

Arrêt du temps. 

Mon corps git, figé dans le néant, imprimant ses formes sur le canapé 

Plus d’énergie, plus d’envie, plus rien à quoi me raccrocher. 

Vacuité  

Dans une transe quasi mystique, un lieu d’attente éternelle 

Je ne peux plus manger, je ne peux plus dormir, je ne fais que me laver. 

 

L’ennemi court sur les poignées de porte. 

Sur toutes les surfaces que les mains puissent tenir, saisir, contenir. 

Je ne peux plus me raccrocher à rien qui ne soit désinfecté. 

Je me lave les mains. 

Bien comme il le faut les mains, les pouces, les ongles, le devant, le derrière, les espaces entre les doigts. 

J’aère, qu’il pleuve ou qu’il vente. 

Je désinfecte les poignées de la porte. 

Je me sens sale, je me sens impuissante. 

Je me sens repoussante. 

Plus je nettoie le dehors comme on le recommande et plus surgit le dedans qui n’a pas de nom. 

Ce dedans me torture, depuis longtemps. 

Ce dedans que je tais, que j’ignore, et qui là, frappe à la porte, 

Elle pourrait s’ouvrir, elle pourrait m’engloutir. 
Alors je nettoie encore plus fort. 

 

Je n’existe pas. Je n’existe plus. Je suis étrangère à moi-même. 

Vidée de ma substance et de mon humanité 

Mon cœur ne bat plus que pour assurer la survie de mes organes. 

Le chat ronronne, il pose sa tête sur mes genoux. Il veille ma nuit noire.  

Il accompagne le spleen en clignant des yeux lentement. 

Il ne me laisse pas seule face à l’indicible. 

 

« Reposez-vous » a dit le Docteur 

« Bouges-toi » a dit la famille 

Je repose, sans paix, sans âme, tous les muscles de ce corps que je maltraite. 

Je suis terrifiée à l’idée de bouger et de causer le moindre mal. Ne pas aggraver mon cas. 

Me nier est la seule issue raisonnable, pour ne plus mal faire. 

J’attends, j’attends que l’issue ne soit plus la mort. 

Le silence s’installe, assourdissant. 

Et un jour, Timéo, 8 ans, se pose devant ma toile inachevée et me dit : “c’est toi qui as peint ? C’est beau, tu devrais continuer.” 

Deux jours plus tard, j’installe une toile cirée sur ma table du salon, je pose ma toile et des torchons tout autour. Je vais chercher des gobelets en plastique dans-lesquels je dilue de la peinture avec de l’eau, des couteaux, mon sèche-cheveux, du durcisseur pour varier les textures et je me lance dans 4 heures de bataille autour de ce cercle. Big bang créatif. 

 

Je vais me coucher épuisée. Mon sèche-cheveux est couvert de peinture. J’ai nommé mon tableau Dépression, comme cette grotte dans-laquelle je me terre. 

 

Six mois plus tard, mon tableau est au mur. Mon père me rend visite. Il me déclare : “Fais-en 10 comme celui-là et je me charge de te les vendre !” Chiche !  

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